Château de Maisons, Maisons-Laffitte
Centre des monuments nationaux
17.3.-27.6.2022
Commissaire de l’exposition : Laura Gutman
Scénographie : Atelier Deltaèdre
Photographies : David Blondin – CMN et al.
Au cours de l’été 1882, Maisons fut animé par la présence de peintres nordiques reçus par le dernier propriétaire du château, Wilhelm Tilman Grommé. Lui-même peintre, passionné d’histoire, Grommé désirait s’entourer d’artistes susceptibles d’apprécier ce remarquable édifice classique. Dans ce cercle élégant, constitué de peintres venus du Nord de l’Europe, on parlait français, allemand, suédois ou russe. Les photographies de Louis-Amédée Mante renvoient une image détendue de ces messieurs installés dans les salles du château, sur les terrasses ou dans les jardins. Tous étaient fascinés par les différentes époques traversées par les lieux : Gunnar Berndtson représenta un XVIIIe siècle léger et galant, Albert Edelfelt se projeta en l’an IV, tandis qu’Adolf von Becker glissait une silhouette féminine contemporaine dans les allées du parc. Le souvenir de cet été délicieux fut consigné dans les lettres qu’ils envoyaient chez eux, tout à leur amusement de cette vie de château.
Wilhelm Tilman Grommé
Peintre et collectionneur
(1836-1900)

Pascal Sebah, Portrait de Wilhelm Timan Grommé, Le Caire v. 1875, Archives photographiques, Direction des musées de Finlande.
La vie de Wilhelm Tilman Grommé résume à elle seule un pan de l’histoire européenne. Né à Saint-Pétersbourg dans une famille allemande d’origine française huguenote, il répond selon les circonstances au prénom de Wilhelm, Vassili ou Guillaume. Son parcours de peintre suit un chemin inverse à celui de ses ancêtres, de l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg jusqu’à Düsseldorf et Paris. Comme chez de nombreux artistes nordiques formés au milieu du XIXe siècle, ses peintures de paysages sont marquées par l’esthétique de l’Ecole de Düsseldorf, contemporaine allemande de celle de Barbizon, qui cherchait à analyser la nature avec une précision scientifique. Collectionneur dans l’âme, Grommé réunit un ensemble éclectique de peintures, d’objets d’art et d’accessoires achetés à des costumiers de théâtre afin de servir de décor à son intérieur parisien comme à ses tableaux. Mais la pièce la plus précieuse de sa collection est assurément le château de Maisons, dont il fait clôturer la cour d’honneur par un portail racheté au château de Mailly-Raineval avant sa destruction en 1879.



Une colonie d’artistes au château de Maisons

Eglise de Sammatti, Finlande.
Depuis son acquisition du château de Maisons en 1877, Wilhelm Tilman Grommé voyage beaucoup et y réside peu. Passionné d’art et d’histoire, il considère que seul un tempérament d’artiste est en mesure d’apprécier la qualité des lieux et d’y trouver une source d’inspiration. Son ami Adolf von Becker ayant reçu la commande d’une peinture religieuse pour l’église de Sammatti, en Finlande, vient travailler à Maisons pendant l’été 1882. Grommé met à sa disposition la Vieille Église, transformée en atelier susceptible d’accueillir le grand format. Les anciens élèves de Becker, Albert Edelfelt et Gunnar Berndtson, réputés pour leurs peintures de genre historique, sont également conviés à s’inspirer du château classique, accompagnés de leur modèle favori, Antonia-Louise Bonjean. Le journaliste Albert Wolff, le sculpteur Walter Runeberg et d’autres artistes nordiques les rejoignent ponctuellement. Les photographies prises par Louis-Amédée Mante à la demande de Grommé immortalisent cette colonie éphémère d’artistes.



A Maisons-Laffitte

Adolf von Becker, Croquis, 1882, Helsinki, Galerie nationale de Finlande, Ateneum.
La saynète de l’enfant demandant des restes pour son chat est composée chez un commerçant de Maisons-Laffitte, et c’est une petite fille de la ville qui sert de modèle – peut-être la même que celle retenue par Albert Edelfelt. Les esquisses montrent que plusieurs fillettes d’âge différent ont tout d’abord été envisagées. Un voisin parisien de Becker, le sculpteur Paul Darfeuille, pose pour le boucher. Becker est réputé pour ces peintures attendrissantes, où l’attention est portée aux enfants. Exposé au Salon parisien de mai 1882, le tableau souligne la présence de Becker à Maisons-Laffitte dès avant l’été. Celui-ci devait retourner en Finlande en septembre, pour assurer les cours de peinture de son académie privée.

En costume d’époque

Wilhelm Tilman Grommé, La Prise de tabac, coll. part.
Pour nombre de peintres nordiques, Ernest Meissonier est un exemple de réussite professionnelle. Ses petits tableaux, peints méticuleusement, apparaissent comme un tour de force. Son approche sans emphase de l’histoire lui vaut la faveur de la grande bourgeoisie, qui envisage le passé aristocratique comme un bal costumé auquel elle peut désormais prendre part. Cette revisitation de l’histoire fait de nombreux adeptes parmi les artistes nordiques, reçus et encouragés par Meissonier dans son atelier parisien. Pour son portrait rococo de gentilhomme en train de priser du tabac, Wilhelm Tilman Grommé fait poser l’un de ses serviteurs à l’expression malicieuse.
La Femme à l’oiseau peinte par Gunnar Berndtson pendant l’été 1882 retrouve pour la première fois depuis cent-quarante ans la salle d’apparat du château de Maisons. Bien que représentant une scène de fantaisie, le tableau offre un rare témoignage de la pièce meublée, dans ses couleurs de la fin du XIXe siècle.


Dans les jardins du château

Albert Edelfelt, Au Jardin, 1882, coll. part.
Gunnar Berndtson se projette à Maisons à l’époque du comte d’Artois, dans un XVIIIe siècle enchanteur. Chassant les papillons comme elle attraperait les cœurs, ou faisant les honneurs du château à un galant, son modèle Antonia-Louise Bonjean joue les marquises au teint frais dans les jardins du château. Profitant de la présence de l’élégante jeune femme, Adolf von Becker la peint à plusieurs reprises en extérieur.
Avec sa robe cintrée haut à la mode révolutionnaire, la petite fille de Maisons-Laffitte qui sert de modèle à Albert Edelfelt évoque les années 1795-1796, seulement trois générations plus tôt. Reproduit par la gravure par son ami Charles Baude, le tableau, volontairement décalé par rapport au passé aristocratique du château, est largement diffusé dans la presse parisienne.



Charles Baude d’ap. Albert Edelfelt, Ma Grand-Mère en l’an IV, coll. part.
Gunnard Berndtson, La Chasse aux papillons, 1882, Turku, Ett Hem.
Albert Edelfelt, Portrait d’Antonia-Louise Bonjean, 1882, Turku, Abo Akademi.

Un peintre russe dans le parc du château

L’atelier de Vassili Verestchagin à Maisons-Laffitte
À l’occasion de son séjour à Maisons, Albert Edelfelt envisage de rendre visite au peintre russe Vassili Verestchagin, dont la réputation était considérable dans l’atelier de Gérôme, à l’école des Beaux-Arts de Paris. Verestchagin et Grommé se sont connus dans leur jeunesse à Saint-Pétersbourg, mais une querelle oppose les deux hommes depuis que Verestchagin a acheté, aux confins de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, un terrain appartenant au domaine du château. Dans cette partie excentrée du parc de Maisons-Laffitte, Verestchagin s’est fait construire un vaste atelier d’hiver et un autre pour l’été, tournant sur des rails afin de suivre la lumière du soleil, où il réalise ses grandes peintures panoramiques.
À l’été 1882, Verestchagin et son épouse allemande Elizaveta Maria Fisher sont de retour d’un second voyage en Inde et au Tibet, dont ils finalisent le récit pour un éditeur allemand. Ils en rapportent de nombreux sujets que le peintre déclinera en atelier, mais aussi deux dogues du Tibet, qui inspirent une scène cruelle du roman à succès de son ami et agent Jules Clarétie, Le Prince Zilah : l’amant éconduit y est dévoré par les chiens, dans une propriété perdue à la lisière de la forêt.
Verestchagin a conservé son atelier du 48 avenue Kléber de 1877 à son retour définitif en Russie en 1892. L’atelier devient par la suite celui du peintre russe Constantin Makovski, avant d’être abandonné.



Le cabinet aux Miroirs

Villa Onnela, à Viborg
Un décor de Wilhelm Tilman Grommé a été retrouvé dans les salles du château et restauré à l’occasion de l’exposition, avec le concours de la Société des amis du château de Maisons. Ces peintures occupaient la place des miroirs, qui étaient à l’époque déposés, dans le précieux cabinet aux Miroirs. Elles représentaient, se détachant sur le ciel, nues et portant leurs attributs respectifs, des déesses antiques évoquant les décors de style Empire des palais de Saint-Pétersbourg. Le peintre avait réalisé un décor comparable dans la villa Onnela de Viborg, où sa mère aimait passer la belle saison et recevoir amis et parents. Avec cet ensemble de peintures décoratives, la fin du XIXe siècle retrouve sa place dans l’histoire du château de Maisons.



Présidence européenne de l’Europe, Programmation culturelle européenne
La presse en parle
Monuments nationaux, le Magazine
n° 11, janvier-avril 2022
« 1882. Un été nordique au château de Maisons », p. 44-49.
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